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Par Muhammad Ahsan, SIAC
Spécialiste de l’ÉDI, RHIEC

Dans les milieux de travail d’aujourd’hui, le débat entre l’équité, la diversité et l’inclusion (ÉDI) et le concept émergent de mérite, d’égalité et d’individualité (MÉI) est plus qu’un conflit d’acronymes : il représente une lutte fondamentale sur la façon dont nous définissons l’équité, le succès et les possibilités dans la société. Alors que la MÉI défend une vision où le mérite individuel est la mesure par excellence de la réussite, l’ÉDI nous incite à nous attaquer aux obstacles systémiques qui façonnent les réalités d’innombrables personnes.

Les adeptes de la MÉI imaginent une société méritocratique où tout le monde part sur un pied d’égalité et s’élève grâce à ses efforts personnels et à son talent. Cela brosse le tableau d’un monde où les obstacles structurels n’existent pas et où chaque personne a un accès égal aux possibilités. Dans un tel monde idéal, les initiatives d’ÉDI peuvent sembler redondantes. Cependant, notre monde est loin de cette utopie.  Les structures sociales, économiques et politiques perpétuent des iniquités profondément enracinées, et nous ne pouvons pas éliminer ces disparités en nous concentrant uniquement sur le mérite.

La MÉI découle du principe selon lequel tout le monde a le même point de départ, ignorant l’influence importante de facteurs, comme la race, le sexe, le statut socio-économique et le handicap sur la capacité d’une personne à réussir. Cette perspective ne tient pas compte de la façon dont les obstacles systémiques et historiques continuent de façonner l’accès des gens aux possibilités. Pour les personnes issues de milieux marginalisés, les défis, comme les préjugés inconscients à l’embauche, la sous-représentation dans les postes de direction et l’accès limité à l’éducation et aux réseaux professionnels, ne sont que trop réels. En se concentrant uniquement sur le mérite individuel et en ignorant les obstacles systémiques, la MÉI renforce le statu quo.

En revanche, l’ÉDI reconnaît ces iniquités systémiques et vise à atteindre une forme plus nuancée d’équité. La diversité met l’accent sur l’importance de la représentation, en veillant à ce que les organisations et les communautés intègrent des perspectives et des expériences variées. L’équité reconnaît qu’il ne suffit pas de traiter tout le monde de la même manière : elle exige de fournir les ressources et les possibilités nécessaires, en fonction de la situation particulière de chaque personne. L’inclusion crée des environnements où tout le monde se sent valorisé et peut contribuer pleinement.

La MÉI n’est pas à la hauteur parce qu’elle ne traite pas du contexte systémique dans lequel le mérite est jugé. Elle considère les inégalités quant aux chances de réussite comme des faiblesses personnelles au lieu de les voir comme des conséquences d’iniquités structurelles.

Cela reflète la façon dont la réponse « All Lives Matter » (Toutes les vies comptent) au mouvement « Black Lives Matter » a déformé le message : si toutes les vies comptent, l’appel à la justice a particulièrement exposé le racisme systémique qui affecte de façon disproportionnée les personnes noires.  Le slogan « All Lives Matter » (Toutes les vies comptent) tente de neutraliser la question, mais finit par écarter les luttes uniques qui requièrent une attention urgente. La MÉI risque de reproduire ce schéma en mettant l’accent sur une approche fondée sur le mérite qui ignore les inégalités systémiques.

Certain·e·s promoteur·rice·s de la MÉI la considèrent comme une approche équilibrée. Ces personnes affirment que le fait de se concentrer sur le mérite est plus inclusif que d’aborder explicitement la question de la diversité et de l’équité. Toutefois, cette perspective s’aligne souvent sur les récits qui s’opposent aux discours axés sur l’équité, les qualifiant parfois de discrimination inversée.

En mettant l’accent sur la méritocratie et l’individualisme, la MÉI détourne la conversation du changement systémique et l’oriente vers une vision de la société qui privilégie involontairement les gens qui détiennent déjà le pouvoir. Cela ne signifie pas que l’égalité, l’individualité et le mérite n’ont pas de valeur : ils sont certainement importants. Pourtant, dans le contexte de l’inégalité systémique, ils peuvent être récupérés et intégrés dans un récit opposé aux efforts déployés en faveur d’une société plus équitable. Lorsqu’elle est utilisée sans examen critique des structures qui façonnent les issues individuelles, la MÉI sert à maintenir le statu quo. Elle favorise ainsi le ressentiment à l’égard des initiatives d’ÉDI en les dépeignant comme étant inutiles ou sources de division.

Les initiatives d’ÉDI prennent en considération le fait qu’une véritable équité exige plus qu’un simple traitement égal. Il faut s’engager à reconnaître et à surmonter les obstacles uniques auxquels les individus font face. En mettant l’accent sur la diversité, l’ÉDI admet la valeur des différentes perspectives. En donnant la priorité à l’équité, elle reconnaît que certaines personnes ont besoin de plus de soutien pour surmonter des obstacles que d’autres ne rencontrent pas. En favorisant l’inclusion, elle crée des environnements où tout le monde peut s’épanouir, et pas seulement les gens qui entrent dans le moule existant.

L’ÉDI n’est pas un rejet du mérite ou de l’individualité. Elle reconnaît, au contraire, que les systèmes n’évaluent pas le mérite de manière neutre et que les contextes sociaux façonnent chaque personne. Elle appelle à une approche systémique pour remédier aux profondes disparités créées par les injustices historiques et actuelles. À cet égard, l’ÉDI n’est pas seulement pertinente : elle est essentielle. Elle nous met au défi de nous confronter à des vérités dérangeantes sur les privilèges et les inégalités et de prendre des mesures délibérées pour créer un monde plus équitable.

Le débat entre l’ÉDI et la MÉI reflète des visions fondamentalement différentes de la manière dont la société devrait fonctionner. Si la MÉI offre une vision convaincante d’une société méritocratique, elle ne parvient pas à faire face aux complexités de l’inégalité systémique. Dans sa forme idéale, la MÉI offre un cadre auquel on peut aspirer dans un monde sans obstacles systémiques. Mais dans le monde où nous vivons, les principes de l’ÉDI doivent guider nos efforts pour faire en sorte que tout le monde ait une véritable chance de réussir. Tant que nous ne créerons pas un monde où la méritocratie est véritablement impartiale, le travail en matière de diversité, d’équité et d’inclusion restera crucial.